vendredi 2 octobre 2009

Corinne Lepage, Présidente de CAP21, vice-présidente du MoDem, et eurodéputée

Agrandir l’image

Fondatrice et présidente du parti écologiste CAP21, co-fondatrice et vice-présidente du MoDem (Mouvement démocrate), député européenne, première vice-présidente de la Commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire, membre-fondatrice du Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIGEN) : Corinne Lepage est une femme politique active et une écologiste incontournable. Partisane d’un rapprochement vert-orange, elle nous livre sa vision de l’écologie politique.

developpementdurable.com : Quels ont été les grands sujets de discussion avec les Amis d’Europe Ecologie (*) ?

Corinne Lepage : J’ai participé à une table-ronde avec Daniel Cohn-Bendit, Martin Hirsch et Philippe Meirieu, entre autres, sur l’aspect social du développement durable. Puis je me suis greffée sur le débat du changement climatique. J’ai enfin eu l’occasion de m’entretenir en aparté avec Noël Mamère, avec Dany,… Mais j’y étais surtout parce que c’était une rencontre ouverte : je plaide en effet depuis longtemps pour un rapprochement entre les personnes du mouvement démocrate et celles d’Europe-Ecologie. Pour moi, cela fait sens. Ce n’est pas une histoire d’alliance politicienne. Je pense que le centrisme sous sa forme traditionnelle, ni droite, ni gauche, a été explosé par la politique de Nicolas Sarkozy et on aura beaucoup de mal à le reconstituer. Les raisons : il y a le Nouveau Centre, et l’on oblige les électeurs à choisir entre la droite ou la gauche. La seule alternative : l’écologie politique ouverte à la démocratie sociale et au radicalisme.

dd.com : Justement, où en êtes-vous de votre rapprochement avec les Verts ?

C. L. : Personnellement, je suis vice-présidente du MoDem. Donc pour le moment, je suis au MoDem et j’y reste. Il n’empêche que j’encourage par exemple Eric Delhaye, qui est membre du bureau national du MoDem et président délégué de CAP21, à trouver une alliance avec Europe Ecologie en Picardie. Et je pense que c’est assez bien parti. En Haute-Normandie, le parti est sur la même lignée. J’ai par ailleurs soutenu Anny Poursinoff dans les Yvelines (législatives partielles, ndlr) parce que je la connais bien et que je l’estime. On a mené beaucoup de combats communs. François Bayrou a ensuite suivi.
Y aura-t-il beaucoup d’autres alliances vertes-oranges ? Pour le moment, je ne sais pas, mais je le souhaite parce qu’il y a une vraie logique à cela. Je suis absolument opposée à un système qui, selon les régions, choisira l’alliance tantôt à droite, tantôt à gauche. On l’a fait pour les élections municipales, et les gens n’ont rien compris. Cette stratégie du papillon ne me parait donc pas être la bonne. Il faut de la cohérence en politique. Parier sur le fait que chaque électeur s’y retrouvera n’est pas viable.
Il y a cependant une grande réticence des Verts à l’égard du MoDem, que je peux comprendre. Certains démocrates ont en effet des comportements qui n’ont rien à voir avec l’écologie. Le vote de certains de nos sénateurs sur les OGM, par exemple, m’a beaucoup dérangée. Il ne suffit pas de mettre le mot « durable » au bout de chaque phrase pour transformer un projet politique.

dd.com : Pensez-vous que l’écologie politique puisse transcender le clivage gauche-droite ?

C. L. : Je voudrais d’abord préciser que je ne me suis jamais sentie une femme de droite, contrairement à ce que l’on me reproche souvent pour avoir participé à un gouvernement de droite. J’ai d’ailleurs sur ce point une grande différence à souligner entre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy : le premier, que je respecte beaucoup, est profondément républicain, attaché aux libertés publiques, à la justice, et n’a jamais été « bling-bling ». En participant à son gouvernement, avec François Bayrou, j’ai en fait plutôt eu le sentiment de faire une politique centriste : il a été très courageux sur les décisions concernant la Sécurité sociale, par exemple. Ce qui lui a valu le soutien de la gauche à l’époque. La reprise des essais nucléaires, bien sûr, m’a dérangé. Mais je suis globalement satisfaite du travail accompli, indépendamment de mon secteur.
M. Juppé n’est pas un néoconservateur autoritaire, même s’il a donné l’impression, à titre personnel, d’être un homme droit dans ses bottes. Ce n’est pas du tout la même configuration politique que le pouvoir actuel. Voilà pourquoi j’ai refusé la proposition de M. Sarkozy d’entrer au gouvernement. Citez-moi une personnalité du PS qui ait fait de même. De la même manière, j’avais refusé d’aller sur la liste de Jean-François Copé aux élections régionales de 2004.
Pour répondre à la question, je dirais finalement que je ne veux pas être le supplétif du PS qui est en train d’exploser en vol, qui n’a plus rien à nous dire. En revanche, autour de l’écologie entendue au sens d’une évolution soutenable, qui respecte les libertés publiques, la démocratie et la justice, il y a un vrai projet politique dynamique et d’avenir.

dd.com : Avez-vous vécu le succès d’Europe Ecologie aux élections européennes comme une défaite de votre parti ou plutôt comme une victoire de l’écologie politique ?

C. L. : L’un et l’autre : dès l’annonce des résultats, sur le plateau de France 2, face à Daniel Cohn-Bendit, j’ai avoué que nous avions subi un revers. Mais je me suis également dite heureuse pour Europe Ecologie. Quand vous défendez, comme je le fais depuis plusieurs décennies, la cause de l’environnement, c’est-à-dire la cause de la vie humaine, et que celle-ci l’emporte, vous ne pouvez que vous réjouir, même s’il ne s’agit pas directement de votre succès.
Un regret, en revanche : que le MoDem n’est pas été capable de porter ces idées, malgré les efforts réalisés par CAP21.

dd.com : Après avoir obtenu de la Commission européenne l’établissement d’une capacité de réaction en cas de catastrophes naturelles, quel sera votre prochain combat d’eurodéputée ?

C. L. : Il y a tant de choses à faire pour Copenhague. Je vais faire partie de la délégation parlementaire qui s’y rendra en décembre, et je vais soutenir de toutes mes forces les résolutions. Je voudrais en outre travailler sur la mer. Je viens d’écrire à tous les députés en ce sens, à la suite d’une demande de l’association des régions côtières, qui m’a proposé de prendre la tête de ce cheval de bataille.
Je voudrais aussi m’intéresser aux questions de comitologie d’expertises. C’est un point essentiel pour la bonne prise des décisions et la participation du public. Ce qui existe pour le changement climatique avec le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), il faudrait arriver à le mettre en place pour la biodiversité, les OGM, les nanotechnologies,… sur tous les sujets où il n’existe encore pas l’ombre du début du commencement d’un consensus scientifique.

dd.com : Pour protester contre le projet de loi Hadopi, vous avez décidé de publier votre ouvrage « Entre colère et espoirs » gratuitement sur Internet. Pourquoi défendez-vous tant la liberté de diffusion sur la Toile ?

C. L. : C’est le dernier espace qu’il nous reste. Je suis tétanisée par la réduction des libertés publiques : je vois un « système Big Brother » puissance mille se mettre en place. C’est une menace pour les libertés individuelles, bien sûr, mais aussi publiques et politiques. Bientôt, tous les internautes seront fliqués, chez eux et à l’extérieur. Les liens entre eux seront décryptés, les échanges de messages, en violation des règles sur la correspondance privée, pourront être lus comme s’ils avaient été envoyés à celui qui n’est pas le destinataire. Avec la réforme sur le juge d’instruction, je pense que nous sortons tout simplement des lignes du système démocratique.

dd.com : Vous n’êtes pas seulement active dans le secteur de l’écologie. Vous touchez aussi à la justice, à l’éducation, à la laïcité,… Pensez-vous que les écologistes sont trop cantonnés à leur domaine ?

C. L. : Si les écologistes ne défendent pas un modèle de développement dont la base est la prise en considération des ressources, personne ne le fera pour eux. Simplement, on ne peut pas se contenter de cela : la construction d’un autre modèle de développement touche aussi les dimensions sociale, sociétale, politique, économique. Il faut donc tout repenser, et la question du fonctionnement démocratique de notre société est, de fait, centrale.
On le voit bien avec Hadopi : les systèmes autoritaires vers lesquels nous allons rognent progressivement nos libertés publiques. Et la nécessité de faire des efforts – la taxe carbone en est une excellente illustration – montre que nous avons besoin d’un système démocratique adapté. C’est la raison pour laquelle les écologistes ne peuvent pas se cantonner à la dimension strictement écologique. Ils doivent aussi prendre en considération la société dans son ensemble.

dd.com : Quelles critiques formuleriez-vous contre le gouvernement dans le domaine de l’environnement ?

C. L. : Le Grenelle de l’environnement est une formidable invention, une formidable machine à intelligence. La loi Grenelle 1 est un progrès incontestable. Mais j’ai deux critiques majeurs : d’abord, il y a des incohérences entre les choix factuels et la politique générale qui est annoncée. Exemple : On propose des indicateurs pour changer le PIB. Cela fait 25 ans que je le demande, donc je suis ravie (CAP 21 a lancé le mouvement « No PIB »). Simplement quelle traduction politique ? Aucune ! Autres illustrations : on lance des autoroutes, un projet de circuit de F1, on continue à investir dans le pétrole,…
Ensuite, notre prisme pro-nucléaire devient un handicap majeur pour tout le reste : le nucléaire a été gommé du Grenelle, totalement sorti du jeu. Enfin plutôt, c’est lui qui est à la base de tout, y compris de la taxe carbone. Le président de la République ne l’aurait jamais proposée si elle n’était pas dans l’intérêt de l’industrie atomique. On est donc dans un système fou dans lequel on crée des centrales dont nous n’avons pas besoin, nous en vendons à des pays qui sont gorgés de soleil, et on prétend dans un deuxième temps développer une filière du renouvelable et de l’efficacité énergétique. Mais c’est incompatible ! Que l’on continue avec le nucléaire, soit. Que l’on prolonge la durée de vie de certaines centrales – mise à part Fessenheim, qui est dans un état épouvantable – si la sécurité le permet, soit. Mais annoncer la construction de deux EPR qui coûtent les yeux de la tête et qui sont technologiquement médiocres, c’est un frein à l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables voulu par le gouvernement.

dd.com : Les négociations internationales sur le climat piétinent. Etes-vous pessimiste pour Copenhague ?

C. L. : Relativement pessimiste. Ma participation au compte-rendu du panel des citoyens de plus de 50 pays, le 29 septembre à la Cité des sciences, m’a cependant remonté le moral. Ces derniers sont infiniment plus ambitieux, conscients, et exigeants que les gouvernements. Cela fera peut-être un peu pression, notamment sur l’administration américaine, qui est au centre du jeu.

dd.com : Quel est votre définition personnelle du développement durable ?

C. L. : Je préfère utiliser l’expression « évolution soutenable ». Pourquoi ? J’ai essayé de sortir du débat croissance-décroissance, auquel le mot « développement » ne répond pas totalement. Beaucoup reconnaissent aujourd’hui que certains secteurs vont croître, et d’autres, décroître. Or quand vous utilisez les mots « développement » ou « croissance », vous avez une vision qui est toujours dans le même sens et qui est globale. C’est tout qui ce développe, tout ce qui croît, ou tout ce qui décroît : c’est idiot, selon moi.
J’ai donc proposé le mot « évolution », qui ne préjuge pas de la direction et qui peut donc laisser progresser dans un sens ou dans l’autre les différents secteurs.
Quant à l’expression « soutenable », je la préfère car je trouve que le mot « durable » n’a en français qu’un sens : la durabilité. Le mot « soutenable », lui, reprend la double acception anglo-saxonne d’une progression qui peut être soutenue dans le temps, qui va pouvoir durer, et qui peut aussi être supportée, encouragée.
L’allocation « évolution soutenable » est donc plus intéressante, d’autant plus que, selon moi, le sens de l’évolution est déterminé par la « soutenabilité ». Autrement dit, ce qui permet d’évoluer positivement ou pas, c’est le fait de savoir si c’est soutenable ou pas.

Propos recueillis par Yann Cohignac

SUR LE SITE DEVELOPPEMENT DURABLE.COM

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Et alors ou tu veux en venir?